Durant les concours ou toute activité de trafic en THF depuis le club il nous arrive de réaliser régulièrement des DX qui ne seraient possibles que grâce à un mode propagation particulier : la réflexion sur les avions, ou “Aircraft Scatter”.

Depuis longtemps les opérateurs THF assidus connaissent bien ce mode de propagation. Nous allons ici le décrire dans son principe et dévoiler des outils permettant de l’utiliser efficacement.

Note : il arrive souvent de dire “réflexion” alors qu’en réalité il s’agit d’un phénomène de “diffraction”. Le terme anglais de “Airscraft scatter” est souvent préférable.

Comment ça marche ?

Les ondes radio se réfléchissent et se diffractent sur tout objet métallique et donc aussi sur les avions car leur structure est constituée d’une enveloppe métallique (de moins en moins il est vrai). De ce fait les radars de surveillance sont capables de les détecter. Un radar émet une onde vers l’avion puis récupère l’onde réfléchie en retour pour l’analyser et déterminer la position de l’appareil. Mais le phénomène n’est pas seulement possible dans le cas d’un aller-retour de l’onde vers la même station (“back scatter” en anglais), il est également possible dans le cas d’une onde se propageant d’une station A vers une station B avec un avion disposé dans l’alignement entre A et B. Ce n’est plus alors une simple réflexion mais une diffraction vers l’avant (en anglais on dit “forward scatter”). Dans ce cas particulier l’onde subit un renforcement de son intensité de part ce phénomène de diffraction.

Cela s’analyse en physique par la théorie de la diffraction de Fresnel et par le théorème de Babinet plus précisément dans le cas d’un objet interposé faisant écran partiel à la propagation des ondes. Contrairement à ce que l’on peut penser l’interposition d’un écran de dimensions déterminées va provoquer par interférence un phénomène de concentration de l’intensité de l’onde juste dans l’axe de propagation. Ensuite le reste du problème s’analyse avec la théorie du radar bi-statique. Ce renforcement, pouvant aller jusqu’à 20 ou 30dB permet de réaliser un contact radio autrement impossible en condition ordinaire.

Il est possible d’exploiter la réflexion avec d’autres angles vis à vis de l’avion mais cela est beaucoup moins efficace. Pour le trafic radioamateur entre deux stations A et B le scénario à privilégier est celui d’un avion se retrouvant en vue optique des deux stations et aligné sur le trajet entre A et B avec des angles d’attaque faibles. Bien entendu l’avion doit se situer à une altitude suffisante pour cela, et plus elle est importante et plus la distance entre A et B peut être grande.

La majorité des contacts dits “tropo” entre deux stations A et B lointaines se fait par “tropo scatter”. Le volume de troposphère commun vu par A et B est illuminé par la station A lorsqu’elle émet et l’ensemble de se volume rétrodiffuse cette énergie (scatter). Cette diffusion n’est pas très efficace et une petite partie est captée par la station B. Le signal est souvent faible et un peu déformé. Ce phénomène est à la base de tous les contacts habituels réalisés en THF entre deux stations distantes. Ensuite le phénomène est modulé dans son intensité par tous les phénomènes d’amélioration troposphériques mais nous n’entrerons pas plus ici dans les détails.

Un avion qui se retrouve dans ce même volume commun a le pouvoir de diffuser beaucoup plus efficacement l’énergie, malgré sa très petite taille en comparaison. L’amélioration peut être de 20 à 30 dB comparé au bilan de liaison troposphérique, lorsque l’avion est bien dans l’alignement. L’intensité du signal va aussi dépendre de la taille de l’avion relativement à la longueur d’onde, plus le ratio est important et plus le gain théorique est élevé.

La durée favorable est en générale courte, de l’ordre de quelques dizaines de secondes, et va dépendre de la trajectoire de l’avion. Si ce dernier ne fait que traverser rapidement l’alignement la durée sera courte, si sa trajectoire est plus alignée avec les deux stations cela sera beaucoup plus long. Ces facteurs multiples expliquent la variabilité d’un QSO à un autre mais dans tous les cas au cours du passage le signal ne sera pas constant mais va fluctuer assez fortement.

Bien évidemment il est nécessaire que l’avion vole à une altitude le rendant visible simultanément entre les deux stations. Dans la pratique l’altitude de vol maximum des avions de ligne long courrier (FL300/FL400 soit de l’ordre de 11 000 m) fait que la distance maximale entre deux stations A et B ne peut pas dépasser 750km, voir 800km. Il est donc rare, sauf propagation tropo supplémentaire, de dépasser cette distance. La majorité des QSO usuels se situent entre 500 et 750km.

L'”aircraft scatter” est utilisable sur les bandes THF, à partir de 144MHz, et très efficace sur 1,2GHz et 2,3GHz, mais aussi utilisable plus difficilement jusqu’à 10GHz.

Le doppler est peu marqué en général car le QSO se produit lorsque l’avion est aligné entre A et B (c’est un peu comme en rain scatter).

Enfin pour profiter de ce mode une station normalement équipée suffit, pas besoin d’aligner les kw et les groupements d’antennes. La méthode fait le reste comme nous allons le voir.

 

L’organisation et la méthode de trafic

Il suffit de jeter un œil sur une carte montrant la densité du trafic aérien pour se rendre compte que le ciel est sillonné d’avions de toute part. Ainsi entre deux stations quelconques il n’est pas rare qu’une trajectoire favorable se présente systématiquement au bout de quelques minutes.

Dans la pratique on va chercher à maximiser la chance du QSO en sélectionnant un avion de gros gabarit et présentant une trajectoire intéressante. Il peut arriver de patienter un quart d’heure ou plus pour qu’un tel avion candidat se présente. L’avantage est la prédictibilité des passages.

Comment préparer concrètement un QSO dans ce mode ? Il existe heureusement des logiciels permettant de visualiser le trafic aérien, d’analyser et de prédire les passages d’avions utiles entre deux stations. Un logiciel très utilisé est AirScout de DL2ALF. Nous l’utilisons à F6KRK. Airscout se connecte à une base de données fournissant les positions et altitudes en temps réel des avions. En plus chaque avion est catégorisé (type d’appareil, indicatif etc..).  Ces positions sont représentées sur une carte ainsi que la ligne reliant les deux stations. Pour tenter un QSO on établit un sked, sur ON4KST par exemple, avec la station DX et on rentre sa position dans AirScout. Voici à quoi ressemble l’écran, zoomé autour du centre du trajet :

Copie d’écran de la partie cartographique de AirScout de DL2ALF

 

Vue générale de AirScout montrant la visualisation simultanée de plusieurs contacts possibles.

 

Un segment de cette ligne est coloriée en mauve et correspond à la zone visible simultanément par les deux stations pour une altitude maximale de vol d’un avion de FL400 (12000 m). L’avion colorié en mauve s’apprête à traverser cette zone. AirScout nous informe que l’avion est un A330 donc un gros porteur et qu’il vole à 11884m. Cet avion est l’exemple d’un bon candidat pour tenter le QSO. Le croisement est dans moins d’une minute donc imminent. La station à l’initiative du sked peut déjà commencer à lancer appel.

 

Comment se déroule un QSO?  Avec un peu d’habitude un opérateur THF sait tout à fait concrétiser un tel QSO. Un contact de ce genre est rapide et concis, un peu comme en meteor scatter. Il dure typiquement quelques dizaines de secondes. Il est utile de respecter une procédure claire et établie, mais commune aux opérateurs THF. Par rapport au météor scatter, deux différences majeures : la durée de l’apparition du signal est plus longue et c’est prédictible à la seconde près.

Voici un exemple de QSO entre F6KRK et OK2A, F6KRK appelant OK2A:

OK2A F6KRK OK2A F6KRK… BREAK

Quand le signal est entendu par OK2A celui-ci répond :

F6KRK OK2A   F6KRK OK2A  BREAK

Alors F6KRK répond en envoyant un report (ici 52):

OK2A  F6KRK 52 52 52… BREAK

Répétition si pas de réponse de OK2A. Réponse de OK2A qui envoie son report (ici 57):

[F6KRK OK2A] R57 R57 R57 BREAK

Le “R” signifie que OK2A a compris le report envoyé par F6KRK.

Alors F6KRK répond :

[OK2A F6KRK] Roger Roger Roger  73s…BREAK

Puis OK2A répond :

[F6KRK OK2A] Roger Roger Roger  73s…BREAK

A la fin de cette séquence les deux stations ont la confirmation que chacune a bien reçu son report et le QSO est complet et valide.

Ce type de procédure est du reste recommandé, comme les autres, dans le VHF Handbook de l’IARU.

Le mode à utiliser est de préférence la phonie afin d’aller suffisamment vite dans les échanges, il existe aussi des modes numériques.

Comment savoir si un QSO a été réalisé par réflexion avion ? Ces contacts se réalisent assez régulièrement sans arrangement prédéterminé au cours de QSO normaux mais difficiles et pour lesquels l’effet avion va apporter le coup de pouce pour conclure. En général tout contact durant lequel le signal s’est mis à monter rapidement et pour une distance de moins de 800km est signe d’une réflexion sur avion. La variation du signal se différencie assez bien du fading classique du QSB en tropo. L’utilisation organisée de ce mode le rend infiniment plus efficace, en particulier grâce à des outils comme AirScout et ON4KST.

 

Exemple de QSO réalisés à KRK

Durant le contest du 3/4 Juillet 2021 nous avons réalisé deux QSO dans ce mode à presque 800km sur 432MHz : GM3HAM/P en IO74WV et  OK2A en JO60LJ.  Sur 1296MHz le QSO a été tenté aussi avec OK2A. Nous les avons bien entendu (report 55) mais la réflexion a été trop courte pour conclure. En tout cas nous savons que cela est possible et que c’est le seul moyen pour les contacter sur cette bande en condition ordinaire, car en tropo nous ne les entendons pas.

Beaucoup d’autres QSO ont été réalisés dans ce mode, par exemple EI9E/P sur 1296MHz etc..

Quelques QSO typiques réalisés en Aircraf Scatter depuis F6KRK sur 432 et 1296MHz

 

Ainsi donc ce mode propagation artificiel est un moyen tout à fait intéressant de réaliser des contacts plus lointains qu’à l’ordinaire. Il faut retenir que le phénomène mis en jeu est un phénomène de physique général lié à la diffraction et à l’interférence des ondes lorsque celles-ci rencontrent un écran, et que le résultat est un renforcement de l’intensité de l’onde dirigé vers l’avant dans l’axe.

Cet exposé nous rappelle que la propagation des ondes met toujours en jeu des phénomènes fondamentaux de la physique, ce qui permet de relier notre pratique radioamateur avec la connaissance des sciences.

 

Liens

Pour approfondir le sujet, d’excellents articles ont été rédigés par VK7MO et W3SZ

AirScout de Dl2ALF

VHF Handbook de l’IARU

Sur Wikipedia : consulter la théorie de Fresnel, le principe de Babinet et celui du radar bi-statique

 

73s

Matthieu F4BUC

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